«Le Canada pourrait bientôt être doté d’un ou deux conglomérats médiatiques suprêmes, qui posséderont la part du lion des stations de télé, des stations de radio et des journaux locaux dans un grand nombre de localités, réduisant encore plus la probabilité de voir ces problèmes soulevés sur la pace publique.»

Le 11 janvier 2007

Communiqué
La vente d’Alliance Atlantis:
Plus gros c’est mieux – mais pour qui?

La Guilde canadienne des médias | Le Local 30213 de TNG Canada

TORONTO — Depuis l’annonce d’une entente entre CanWest Global et le financier américain Goldman Sachs Capital en vue d’acquérir les 13 stations de télévision spécialisées d’Alliance Atlantis Communications et les ajouter à un empire de journaux et de télévision déjà énorme, le paysage médiatique canadien se destine vers une concentration encore plus massive.

AAC, qui a connu des succès impressionnants à la fois au niveau de la diffusion et de la production d’émissions, possède une partie de la franchise CSI mise au point avec CBS. L’entreprise possède également plusieurs des stations spécialisées les plus populaires, notamment HGTV, The Food Channel et Showcase, tous des débouchés importants pour les producteurs et comédiens canadiens.

Au-delà de l’augmentation évidente de la concentration et de ses effets possibles sur les annonceurs, les employés et les producteurs d’émissions, cette entente comprend un élément de propriété étrangère qui semble, du moins à première vue, contrevenir à la réglementation actuelle.

La vente doit encore recevoir l’approbation du gouvernement fédéral mais, étant donné la fiche de route actuelle du gouvernement, cette approbation semble probable. Après tout, l’annonce par Bell Globemedia, en juin dernier, d’une autre énorme consolidation médiatique avec CHUM n’a pratiquement pas fait de vagues à Ottawa. Les deux accords sont en attente de l’approbation du CRTC.

Une plus grande concentration se traduit par moins de choix et moins d’emplois

La vente d’AAC ne constitue qu’un autre exemple du plus récent mantra du monde médiatique: il est toujours préférable d’être plus gros, et d’étendre ses intérêts à toutes les plateformes: la télé, la radio, les journaux, l’Internet, les téléphones cellulaires – et quoi d’autre. Peu de personnes en poste d’autorité semblent disposées – du moins ouvertement – à se demander quels effets de telles consolidations auront au niveau des téléspectateurs, des auditeurs et des lecteurs canadiens, de même que sur les créateurs de contenu, les annonceurs et les employés des médias.

Voyez un peu l’effet que l’augmentation de la concentration et des propriétés croisées, dans le monde des imprimés, a eu sur les pigistes. Les rédacteurs découvrent que leurs écrits sont de plus en plus utilisés sur un plus grand nombre de plateformes – mais ils n’en retirent pas généralement plus d’argent. Les entreprises qui utilisent leurs écrits le font. Les rédacteurs ont perdu une grande partie de leur capacité de négocier parce qu’il existe désormais moins d’acheteurs potentiels pour leurs écrits.

Téléspectateur et lecteurs ont désormais le plaisir douteux de voir le même reportage ou la même émission de télé at vitam aeternam. Et les annonceurs risquent de devoir débourser plus lorsqu’ils ne peuvent transiger qu’avec deux géants nationaux de la télédiffusion.

Pour leur part, les employés du secteur technique d’AAC sont en train de négocier leur première convention collective, précisément en vue d’obtenir la stabilité d’emploi à long terme et les possibilités de développement de carrière qui leurs permettraient de continuer de contribuer à une télévision canadienne de qualité. La vente de l’entreprise ne changera rien à leurs objectifs de négociation.

Ces employés et leur syndicat, la Guilde canadienne des médias, vont lutter pour veiller à ce qu’ils ne paient pas un prix élevé à cause de cette stratégie du «plus gros, c’est mieux», qui se rentabilise souvent pour les entreprises en faisant disparaitre des emplois. Jusqu’à présent, aucun gouvernement au Canada ne s’est jamais vanté du fait qu’une diminution de bons emplois profite au pays.

On parle très peu de la question des médias

Les entreprises médiatiques parlent très peu des réalités de la consolidation des médias. Elles bénéficient au Canada d’appuis réglementaires et financiers, à la condition de fournir aux Canadiennes et aux Canadiens des nouvelles et des informations sur les sujets qui les touchent. Cependant, nos médias sont virtuellement silencieux au sujet des grandes questions qui touchent l’univers des médias au Canada.

Et ils ne sont pas les seuls. Le gouvernement conservateur minoritaire a fait l’impossible pour ne rien dire d’important au sujet de ses projets à l’endroit de l’industrie canadienne des médias. Ceux et celles d’entre nous qui ont tenté de suivre la question ont pratiquement du se contenter de lire dans le marc de café.

Voici ce que nous savons. Depuis son élection il y a à peine un an, le Premier ministre a refusé d’appuyer une Tribune de presse indépendante, insistant plutôt pour que son bureau choisisse les journalistes qui auront le droit de lui poser des questions.

Quelle est la position du gouvernement?

Le gouvernement conservateur a décidé d’ignorer un rapport du Sénat qui préconisait des changements importants, en matière de réglementation et de politiques, afin de protéger la diversité des nouvelles au pays dans une ère de fusions et de convergence des médias. Le gouvernement a plutôt adopté le concept de la déréglementation de l’industrie des télécommunications, et certains députés ont suggéré au cours des débats parlementaires que les règles exigeant la production d’un minimum de contenu canadien devraient également être relaxées.

Le gouvernement s’est également avéré sibyllin au sujet de sa vision de l’avenir de la SRC/CBC, qui en vertu de la Loi sur la radiodiffusion continue de jouer un rôle important au pays. En fait, le gouvernement conservateur a adopté la même attitude que le précédent gouvernement libéral au cours de la dernière moitié de son mandant: la négligence.

Le silence et l’inaction apparente du gouvernement conservateur découlent vraisemblablement d’une stratégie très délibérée. Ne rien faire au niveau des fusions de médias et de la SRC/CBC devrait nous mener là où les gourous Conservateurs espèrent mener le pays depuis des années: des profits d’entreprises plus importants, moins de surveillance au niveau des médias, moins de diversité au niveau des émissions de nouvelles et de variétés, et un diffuseur public très marginal.

Le Canada pourrait bientôt être doté d’un ou deux conglomérats médiatiques suprêmes, qui posséderont la part du lion des stations de télé, des stations de radio et des journaux locaux dans un grand nombre de localités, réduisant encore plus la probabilité de voir ces problèmes soulevés sur la pace publique.

Le plan du Premier ministre Stephen Harper devient de plus en plus clair. Reste-t-il à Ottawa quelqu’un qui possède une vision différente de l’avenir des médias canadiens? Si c’est le cas, il serait grand temps que cette personne se fasse entendre, de façon forte et claire.